Tomber de Charybde en Scylla

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Dans l’Iliade et l’Odyssée, Ulysse doit faire face au danger des monstres des mers, Charybde et Scylla. Circé, après avoir expliqué à Ulysse ce qu’il fallait faire face aux Sirènes, indique deux voies possibles sans pouvoir toutefois dire laquelle choisir. Ulysse devra passer entre « deux hautes roches ».

D’un côté, Scylla « est un monstre terrible et sa vue ne réjouit personne, pas même un dieu ». Elle a douze pieds difformes et six longs cous au bout desquels une gueule possédant une triple rangée de dents attrape les malheureux qui passent là.
De l’autre, Charybde engloutit l’eau et la recrache trois fois par jour. Si Ulysse et ses compagnons passaient par là à ce moment, même Poséidon ne pourrait rien pour eux.

Charybde est la fille de Poséidon et de Gaia. Poséidon est le dieu des mers et des océans, quant à Gaïa, elle symbolise la Terre et est considérée comme la déesse mère. 

Charybde, autrefois humaine, avait l’appétit vorace et avait la fâcheuse habitude de voler des animaux, pour les dévorer. Un jour, elle commet l’erreur de voler et de dévorer une partie du bétail de Géryon qu’Héraclès (Hercule) lui avait volé et ramenait pour accomplir un des 12 travaux.

Zeus ne pardonne pas cet affront et la punition qu’il inflige à Charybde est exemplaire : il la foudroya et la précipita au fin fond du détroit de Messine (entre la Sicile et la côte italienne). Trois fois par jour, il lui impose d’ingurgiter et de recracher toute l’eau du détroit incluant navires, marins et poissons. Elle dévore tout et rejette l’eau, ainsi que ce qui n’est pas comestible, et terrifie les marins.

           Ulysse échappa une première fois au monstre mais après le naufrage qui suivit l’épisode des bœufs du Soleil, le mât auquel il s’était accroché fut avalé. Il eut la vie sauve grâce à un figuier qui poussait à l’entrée de la grotte et auquel il s’agrippa. Il récupéra le mât quand le monstre le vomit quelques heures plus tard et il put continuer son odyssée pour revenir chez lui.

 

Scylla, fille de Phorcys et de Cratéis est présentée comme un monstre ayant un buste de femme, surmonté de six cous d’une longueur extraordinaire, dont chacun portait une tête de chien armée de trois rangées de dents pointues; elle lui attribuait douze pieds, et comme voix un aboiement formidable.

A l’origine Scylla était une très belle jeune nymphe qui s’ébattait souvent au milieu des flots avec les nymphes marines et qui repoussait tous ses soupirants. Glaucos, le dieu des mers,  en devint amoureux fou et se déclara. Comme pour tous les autres hommes ayant tenté leur chance auprès de Scylla, sa tentative échoue. Ce dernier demanda à la magicienne Circé de lui fabriquer un philtre magique pour conquérir l’insensible Scylla. Mais Circé tomba amoureuse de Glaucos qui la repoussa et pour se venger elle transforma la belle Scylla en ce monstre hideux.

Embusquée dans le détroit de Messine, face à Charybde, elle attend les navigateurs imprudents. 

Ulysse choisit le côté de Scylla car il préfère perdre quelques hommes que tous les perdre. Il fuit après avoir perdu six de ses hommes et arrive sur l’île de Soleil Haut. 

Dans cet épisode Ulysse est courageux, malin et réaliste.

C’est de cet épisode que nous vient l’expression française « Tomber de Charybde en Scylla » qui signifie n’éviter un mal ou danger que pour en rencontrer un autre de plus grande ampleur. Autrement dit « aller de mal en pis ».

Du sens propre on en est arrivé à se servir de ces mots dans le sens figuré.

 Portrait imaginaire d’Horace par Anton von Wener. 

Horace, poète latin né à Vénose dans le sud de l’Italie, le 8 décembre 65 av. J.-C. et mort à Rome le 27 novembre 8 av. J.-C, écrivait près de 700 ans après Homère :

« Incidit in Scyllam cupiens vitare Carybdin » que l’on peut traduire par « Il tombe sur Scylla, en désirant éviter Charybde » ce à quoi il ajoutait : « Dum vitant stulti vitia, in contraria currunt », « Quand les sots veulent éviter un excès, ils tombent dans l’excès opposé ».

Quasiment contemporain à Horace, Virgile laissait un poème dont un ver était « Dextrum Scylla latus, laevum implacata Charidis » qui veut dire « La cruelle Charybde occupe le côté gauche, Scylla le côté droit »

 

Plus proche de nous,  Jean de La Fontaine (1621 – 1695) emploie directement l’expression :

Dans son livre V, fable 6, il met en scène une vieille femme et ses deux servantes, qu’elle éveillait dès l’aurore aussitôt que le coq chantait. Celles-ci, impatientées, tuèrent le coq, pensant que la vieille ne se réveillerait plus aussi tôt le matin.

Voici comment se termine la fable :

                                             Ce meurtre n’amenda (ne rendit meilleur), nullement leur marché :
                                             Notre couple, au contraire, à peine était couché,
                                             Que la vieille, craignant de laisser passer l’heure,
                                             Courait comme un lutin par toute sa demeure.

                                             C’est ainsi que, le plus souvent,
                                             Quand on pense sortir d’une mauvaise affaire,
                                             On s’enfonce encor plus avant :
                                             Témoin ce couple et son salaire.
                                             La vieille, au lieu de coq, les fit tomber par là
                                             De Charybde en Scylla.

 

Par la suite, Nicolas BOILEAU (1636 – 1711) dans le premier chant de l’Art poétique glisse le ver suivant : « Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire. »

Les Anglais eux disent :

« (To jump) Out of the frying pan into the fire ! »              « (Sauter) Hors de la poêle dans le feu ! »

Les Espagnols :

« Salir del fuego para caer en las brasas »                           « Sortir du feu pour tomber dans les braises »